Dans un dictionnaire de philosophie — dont la publication datée de 2011 est présentée comme une « version revue, complétée et actualisée de l’édition de 1964 » —, on peut lire, au mot colère, une définition quelque peu faramineuse. En effet, la colère y est décrite comme « une excitation affective de tendance agressive ». Je lis, avec attention, cette définition. Et je me demande si, dans cet intervalle de presque cinquante ans, la colère a pu, elle aussi, être revue, complétée et actualisée.
Pour être intègre, je dois avouer que j’ai toujours cultivé, presque inconsciemment, un étonnement naïf et volontaire afin de préserver l’intuition selon laquelle il y a de saines et légitimes colères. J’irais jusqu’à défendre l’idée qu’il est prudent de savoir rester en éveil et même — dans certains cas — en alerte permanente, pour maintenir la possible et salvatrice intervention de la juste colère ; car, pour moi, il y a de justes et légitimes colères. Il faut les réhabiliter.
Si les fidèles de ces religions grimpaient aux échelles de la foi, Pour devenir modestes et apprendre un peu d’amour, Nous pourrions enfin glorifier ce siècle D’être devenu le siècle tant attendu de la vie spirituelle. Hélas ! Lorsqu’ils montent sur leurs échelles de foi, C’est juste pour se hisser au-dessus de leur propre marigot. Ils s’emplissent d’un cantique de certitudes, Transforment leurs croyances en crédos, Et, bouffis d’orgueil, Redescendent ensuite dans la boue des autres, Le cœur à nouveau saturé du sang des intolérances, Illuminés par des projets de meurtres barbares.
PLAT VERSO : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » écrivait Baudelaire pour défendre « Les fleurs du mal ». Je ne sais si la boue de l’adultère a cette vertu philosophale. Elle est une boue si particulière qu’elle déjoue toutes les pensées. En réalité, la chimie du désamour qui préside à l’adultère est une alchimie mortifère. Elle contraint la victime au chemin de croix et aux supplices d’une âme humiliée. Je ne me pense « ni sage et doux comme un maudit » ni « parfait chimiste »[1]. Quand s’effondre, avec tant de laideur et de mépris, un amour qu’on croyait indestructible, il est presque impensable de trouver l’antidote au poison du désamour : la souffrance, la honte, la rancœur, le déshonneur, l’immense chagrin, tout participe du sentiment d’être condamné et injustement violenté, sidéré, déchiqueté, en mille morceaux. Grâce aux ami(e)s, à leur estime fidèle, aux âmes sœurs et à ma Muse Magicienne, j’ai trouvé la force de me relever... Même sur ces ruines-là et après tant de meurtrissures, j’avais le droit de « revenir à la vie » : c’est l’étymologie de reviviscence... Je m’y suis autorisé et j’ai recherché une énergie nouvelle pour écrire et d’écrire ces déchirures de l’âme et du corps qu’inflige l’adultère. Pour chaque poème de la déchirure, en contrepoint, et pour redonner aux ténèbres une part de lumière, j’ai choisi de composer un texte d’espoir, de résurrection... Avec une « subjectivité impliquée, impliquée par l’objectivité attendue »[2], il me fallait dévoiler lucidement ce que fait subir ce trauma. Ici, l’objectivité attendue n’a pas de prétention épistémologique, elle tente seulement d’être poétique. C’est une mise en perspective et une autopsie cathartique de toute cette boue de l’adultère... d’où, avec distance, amour et résilience, renaissent joyeusement de nouvelles fleurs de vie. J’ai réalisé toutes les peintures pendant cette période d’écriture et de résurrection. [1] Charles Baudelaire, « Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal » (1861) [2] P. Ricœur, Histoire et Vérité, Éd. du Seuil. 1955, pp. 23-24.